Comme on le sait, un travailleur peut être considéré comme un salarié (un employé) ou comme un travailleur autonome (une personne à son compte). Le « type de relation » qui prévaut entre le travailleur et la personne qui donne le travail est prépondérant pour déterminer le statut d’un travailleur. Évidemment, les conséquences fiscales (déductions fiscales admissibles, retenues à la source, etc.) et sociales (normes du travail, santé et sécurité du travail, assurance-emploi, etc.) ne seront définitivement pas les mêmes selon que le travailleur est un salarié ou un travailleur autonome. Cela est vrai tant pour le travailleur que pour la personne qui donne le travail à effectuer (le donneur d’ouvrage). En effet, les droits et obligations qui en découlent seront fort différents selon le statut. Chose certaine, rien ne vaut un statut clair et sans équivoque pour éviter la confusion, les malentendus et les vérifications fiscales onéreuses!
Une recette magique? Pas vraiment, mais…
Lorsqu’il s’agit de déterminer si un travailleur est un employé du payeur ou s’il est un travailleur autonome, les autorités fiscales fédérales et québécoises utilisent une liste de critères et de tests qui sont basés sur des décisions qui ont été rendues par les tribunaux (notamment la décision-maîtresse rendue par la Cour d’appel fédérale le 18 juin 1986 dans l’affaire Wiebe Door Services). Bien que nous les énumérerons un peu plus loin dans le présent texte, précisions immédiatement que les autorités fiscales ont rédigé dans certaines publications les fameux critères et tests qui aident à déterminer le statut d’un travailleur.
Ainsi l’Agence du revenu du Canada (ARC) a publié un guide détaillé (RC4110) intitulé « Employé ou travailleur indépendant? ». De son côté, Revenu Québec a publié un bulletin d’interprétation (RRQ. 1-1/R2) assez étoffé sur le sujet et intitulé « Statut d’un travailleur ». La lecture de ces deux documents peut définitivement aider à faire la distinction entre les deux statuts, et ce, grâce aux nombreuses interrogations qui y sont exprimées. Nous vous encourageons à le faire. Ces deux documents gouvernementaux ne répondront cependant pas à plusieurs questions relatives aux conséquences fiscales de l’un ou de l’autre statut du travailleur, ce que le présent bulletin fiscal veut faire.
Bien que chaque situation soit un cas d’espèce, rappelons les principaux tests utilisés par les autorités fiscales pour faire la distinction :
1) La subordination effective du travail (« test e contrôle » sur le travailleur) ;
2) Le risque de profits et de pertes ;
3) La propriété des « outils » de travail ;
4) L’attitude des parties quant à leurs relations.
Prenez note que le critère de la subordination effective du travail (« le test de contrôle » sur le travailleur) est assurément le plus important à rencontrer, notamment aux yeux des autorités québécoises. Difficile à croire, mais il arrive à l’occasion que les autorités fiscales québécoises n’arrivent pas à la même conclusion que les autorités fédérales sur le statut d’un même travailleur en utilisant pourtant des faits entièrement identiques! Nous ne pouvons que déplorer de telles situations (bien que plus rares) qui mènent au chaos tant pour le payeur que pour le travailleur face aux autorités fiscales.
Il n’existe pas de recette magique pour déterminer aisément si un travailleur est un employé d’un payeur ou s’il est un travailleur autonome. La ligne est parfois très mince. À titre d’exemple, dans le secteur financier, certains types de conseillers en placement à commission sont considérés comme des travailleurs autonomes tandis que d’autres types de conseillers en placement à commission sont considérés comme des employés. La différence est parfois très petite et peut découler des lois, règlements et organismes différents qui régissent la nature de leurs activités respectives de conseillers en placement ainsi que la latitude quant à l’exercice de leurs tâches de travail.
Les différences sont parfois aussi très minces pour certains travailleurs œuvrant dans l’industrie du transport et de la livraison (notamment le camionnage), de certains secteurs de la construction et de l’installation et évidemment dans le secteur de la consultation, des services et de la vente.
Une mise au point s’impose cependant. Contrairement à une certaine croyance populaire, le travailleur ne peut pas choisir son statut en optant à sa guise pour l’un ou pour l’autre. Ce sont les faits applicables à sa situation qui détermineront si le travailleur est autonome ou employé. On ne «choisit» pas son statut en cochant une case!
Cependant, le meilleur conseil que nous pouvons donner est de s’assurer que le statut du travailleur soit le plus clair et limpide possible. En effet il n’est pas rare en pratique que les problèmes commencent suite à une insatisfaction d’un travailleur face à son statut.
Dépôt d’une plainte par le travailleur
Les expériences vécues démontrent clairement que les enquêtes menées par les autorités fiscales ou par d’autres organismes gouvernementaux débutent souvent suite au dépôt d’une plainte par un travailleur. Ainsi, à titre d’exemple, un travailleur dit « autonome » peut éventuellement souhaiter bénéficier de certains avantages sociaux (tels que l’assurance-emploi, des vacances payées ou encore des prestations pour un accident de travail) suite à un événement survenu ou à venir. Or, son statut de travailleur autonome ne lui permettant généralement pas de bénéficier de telles protections sociales, il pourrait être tenté de démontrer auprès de l’un ou l’autre des divers organismes gouvernementaux que son « réel » statut est celui d’employé et non pas de travailleur autonome. C’est alors que commencera une enquête par l’organisme gouvernemental visé par la plainte du travailleur. Il en découlera généralement des entrevues par des fonctionnaires auprès du travailleur, du payeur ainsi qu’auprès d’autres travailleurs qui sont dans la même situation. Un processus assez long et parfois pénible pour plusieurs personnes visées. Il n’est pas rare que les faits concrets, tels que présentés par le travailleur, ne correspondent alors pas du tout à ceux présentés par le payeur (C’est-à-dire celui qui a payé la rémunération du travailleur). Sans compter que tout processus peur résulter en des avis de cotisation de plusieurs milliers, voire dizaines ou centaines de milliers de dollars pour les parties impliquées, que ce soit au titre des cotisations à l’assurance-emploi, au RRQ, au RQAP, au Fonds des services de santé ou à l’impôt sur le revenu. La rédaction, dès le début de l’embauche, d’une entente écrite (un contrat) entre les parties peut sûrement aider à mettre les choses au clair dès le début de la relation qui existera entre les parties. Mais encore faut-il que les faits réellement vécus par les parties par la suite reflètent ce qui est écrit dans l’entente écrite à défaut de quoi ladite entente écrite pourrait avoir peu de valeur face aux autorités gouvernementales. Finalement, un tel contrat écrit ne doit pas nécessairement être un document de plusieurs pages, notamment lorsqu’il s’agit d’une relation visant un travailler autonome. En effet, plus l’entente écrite sera volumineuse et détaillée, plus elle comportera généralement des restrictions et limitations (bref, un contrôle!) par le payeur sur le travailleur. Or, essentiellement, un travailleur autonome est une personne qui bénéficie d’une certaine liberté d’action et qui est sujet à un minimum de contrôle du payeur. Une entente très volumineuse comportant plusieurs restrictions et limitations conduira souvent à la conclusion que le travailleur est plutôt un employé.
Notez qu’en cas de doute sur la relation qui existera entre un payeur et un travailleur, il est possible de demander une décision aux autorités gouvernementales tant fédérales que québécoises.
Attention à certaines autres lois
Le fait qu’un travailleur soit reconnu comme un travailleur autonome aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada, de la Loi sur les impôts du Québec, de l’assurance-emploi et du Régime des rentes du Québec ne garantit pas automatiquement qu’il en sera de même aux fins d’autres lois. Ainsi, à titre d’exemple, l’article 9 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (L.A.T.M.P.) prévoit spécifiquement une exception à l’égard d’un travailleur autonome qui est une personne physique (c’est-à-dire non incorporé) et qui n’a pas de travailleur à son emploi. En effet, le payeur devra néanmoins supporter le coût des primes pour la santé et la sécurité au travail auprès de la CNESST pour un tel « travailleur autonome » dans la mesure (entre autres) où ledit travailleur exerce des activités similaires ou connexes à celui du payeur.
En effet, ledit travailleur autonome sera alors réputé être un employé aux fins de la CNESST. De telles situations ont été rencontrées notamment dans l’industrie du camionnage et de l’industrie forestière à l’égard de travailleurs autonomes non incorporés. Les mauvaises surprises (sous forme d’importants avis de cotisation par la CNESST) peuvent alors en résulter pour le payeur. Notez que la Loi sur l’équité salariale prévoit également une présomption analogue à celle mentionnée aux fins de la santé et sécurité au travail à l’égard de certains travailleurs autonomes. Bref, une entreprise doit donc vérifier l’ensemble des lois auxquelles elle peut être assujettie pour s’assurer qu’aucune cotisation ou prélèvement n’est payable.
Conséquences pour le payeur d’un changement du statut d’un travailleur
Il va de soi que les responsabilités fiscales et sociales du payeur sont beaucoup moins élevées (voire presque nulles) lorsqu’il retient les services d’un travailleur autonome plutôt que d’un employé. Ainsi, advenant que les autorités fiscales se proposent de modifier le statut d’un travailleur autonome en celui d’employé, le payeur (c’est-à-dire l’employeur) sera en conséquence assujetti à plusieurs lois discales et sociales pouvant résulter en des avis de cotisation substantiels. Pensons entre autres :
• Aux cotisations d’employeurs et d’employé à l’assurance-emploi, au RQAP et au RRQ ;
• Aux cotisations d’employeur au Fonds des services de santé (FSS), ainsi que pour la santé et la sécurité au travail et pour les normes du travail (CNESST) ;
• Aux dépenses de formation non effectuées (règle du 1% de la masse salariale) ;
• Aux congés et vacances prévus à la Loi sur les normes du travail ainsi qu’aux règles afférentes aux mises à pied ;
• Aux règles régissant l’équité salariale ;
• Aux règles régissant une convention collective ;
• Etc.
Conséquences pour le travailleur d’un changement de son statut
Pour le travailleur, les déductions admissibles en vertu des lois fiscales ne sont pas les mêmes selon qu’il est un travailleur autonome ou un employé.
La liste suivante démontre quelques exemples seulement parmi la liste de dépenses qui ne sont admissibles que pour un travailleur autonome.
Exemples de dépenses qui sont admissibles pour un travailleur autonome mais qui ne le sont pas pour un employé :
• Amortissement d’un ordinateur, du mobilier de bureau, d’un télécopieur et de toute autre immobilisation (l’amortissement d’une automobile peut cependant être permis à un employé) ;
• Frais relatifs à un congrès ;
• Frais d’intérêt sur un emprunt d’argent utilisé pour l’achat de biens et services effectués dans le cadre de son travail (les intérêts sur un emprunt contracté pour acquérir une automobile peuvent cependant être admissibles pour un employé) ;
• Frais d’intérêt pour une hypothèque sur la résidence à l’égard de la portion utilisée à titre de bureau à domicile ;
• Restrictions moins importantes relativement aux conditions d’admissibilité d’un bureau à domicile ;
• Restrictions moins importantes relativement à la déductibilité des salaires versés à des tierces personnes.
Plusieurs autres différences sont applicables dans le calcul du revenu d’un travailleur autonome par rapport au calcul du revenu d’un employé.
L’incorporation du travailleur est-elle une solution?
Plusieurs contribuables ont peut-être déjà entendu dire qu’une des solutions simples au dilemme du statut d’un travailleur était de demander au travailleur de s’incorporer (c’est-à-dire se créer une société par actions) pour exercer ses fonctions afin de lui « garantir » un statut de travailleur autonome. Une grosse précision est nécessaire à cet égard! Bien que l’incorporation du travailleur puisse alors décharger le payeur de se responsabilité fiscale face aux retenues à la source et cotisations d’employeur non effectuées, la société par actions du travailleur peut alors être considérée par le fisc comme une « entreprise de prestation de services personnels » si la réalité démontre que sans l’interposition d’une société par actions, le travailleur aurait alors été un employé du payeur. Lorsqu’une société est qualifiée « d’entreprise de prestation de services personnels » par le fisc, les taux d’imposition sont alors peu avantageux (44,8% en 2017) par rapport à ceux d’une société par actions dite « active » (22.3% ou 18.5% en 2017). De plus, de nombreuses déductions fiscales ne seront pas autorisées pour ladite société par actions du travailleur. En bref, envisager l’incorporation du travailleur comme solution pour contrecarrer un statut d’employé n’apporte généralement de soulagements qu’à l’égard de la responsabilité fiscale du payeur face aux retenues à la source et contributions d’employeur non effectuées. Par contre, un « vrai » travailleur autonome peut envisager favorablement l’incorporation de son entreprise afin d’en tirer tous les avantages fiscaux applicables, dans la mesure où aucune loi ou réglementation ne lui interdit d’incorporer son entreprise.
Conclusion
La question de la détermination du statut d’un travailleur a toujours soulevé de nombreuses interrogations et incertitudes, et ce phénomène perdurera, car dans la vraie vie, plusieurs situations peuvent être difficiles à trancher de façon claire et sans équivoque. N’oubliez pas que chaque situation est un cas d’espèce qui doit être analysé à la lumière des faits qui lui sont propres. Mais, en mettant toutes les chances de son côté en rendant le statut du travailleur le plus limpide possible, toutes les parties impliquées évitent de se retrouver en situation de conflits entre eux et aussi en difficultés avec les autorités fiscales. Évitez donc, si possible, de vous retrouver en plein milieu d’une zone grise et tout le monde en sera plus heureux!
Avis
Ce résumé est conçu pour vous fournir une information de qualité sur plusieurs aspects rattachés au statut d’un travailleur. Cependant, il est impossible de couvrir toutes les situations envisageables. Il serait possible d’écrire un document encore bien plus volumineux sur ce bouillant sujet. En conséquence, n’hésitez pas à nous consulter. Il nous fera plaisir de vous aider face à votre propre situation.
Vos conseillers et collaborateurs, Poulin, Ladouceur, Nadeau, Montpas, Millette, S.E.N.C.R.L.